Moka [Tatiana de Rosnay] ou l'art de faire croire qu'un livre parle de café (alors que non)


Le Livre de Poche, 288 pages

J'ai mis de côté l'Amie prodigieuse pour entamer une lecture rapide, facile. Une lecture détente. Je reprends l'Amie prodigieuse après (je me suis fait une promesse à moi-même). Bon, "Moka" n'est pas réellement une lecture "détente", vu le sujet abordé. Ceci dit, je l'ai dévoré en 2 soirées et en sors plutôt conquise. Cela faisait un moment que je n'avais pas lu un De Rosnay, auteure que j'aime beaucoup. J'avais beaucoup apprécié Le cœur d'une autre et passé un bon moment avec Spirales. Elle s’appelait Sarah trône sur mes étagères depuis un moment et je sais qu'il y a urgence à le lire. En attendant, je me suis saisie de Moka, un peu par hasard!

Moka,c'est la terrible histoire de Justine, épouse d'un anglais, Andrew, et maman de deux enfants, Malcom et Georgia. Petite vie tranquille et sans histoire, famille somme toute banale. Sauf qu'un mercredi après-midi, sa vie bascule: Malcolm, son aîné de 13 ans, se fait percuter par une voiture, une Mercedes ancien modèle couleur moka, qui prend la fuite après son méfait. Malcom est dans un coma profond et la police ne semble pas faire grand chose pour retrouver l'auteur des faits... Justine, révoltée, se décide donc à prendre les choses en main...
Comment les gens faisaient-ils pour tourner la page ? Les gens qui vivaient un malheur ? Les gens qui connaissaient le pire ? Comment faisaient-ils ? Peut-être qu'ils ne tournaient jamais la page. Peut-être que ces pages-là, les plus lourdes, les plus terribles, on ne les tournait pas. On devait apprendre à vivre avec. Comment ?
Moka, c'est donc l'histoire de la détresse d'une famille et plus particulièrement d'une mère, dont la chair de la chair est entre la vie et la mort.
Au travers de ses souvenirs d'épouse, de mère, on apprend à découvrir cette femme et son histoire... Sa vie était loin d'être parfaite, elle semblait s'ennuyer, regretter un temps pas si lointain où son mari et elle étaient plus amoureux. 
Dans la folie des pensées qui l'assaillent, Justine remet donc en question beaucoup de choses depuis l'entrée dans le coma de son fils. Et puis il y a, bien évidemment, sa détresse, sa terreur, ses nuits blanches, ses larmes... Et c'est complètement bouleversant à lire.

Tatiana de Rosnay a le chic pour être juste, TELLEMENT juste, lorsqu'elle décrit les émotions et sentiments de cette mère de famille... Je ne suis pas maman et pourtant, l'identification a été totale. L'écriture de l'auteure est poignante. Les doutes et remises en question sont toujours pertinents et l'angoisse de perdre son fils est parfaitement dépeinte, transmise. Il y a beaucoup de simplicité dans les mots, dans les émotions évoquées, mais on n'en attend pas forcément plus. Pas de fioritures, de métaphores et de grands phrases bien tournées. Juste l'essentiel. Terrifiant de vérité.
Oui, des drames, des peines, comme dans tout existence. Mais rien de cet acabit. Rien comme ça, rien comme maintenant. Rien d'aussi tentaculaire, d'aussi puissant. Rien de comparable. C'était étrange, car dans cet enfer que je subissais, je me sentais différente, autre, métamorphosée. Comme si avant, j'avais été engourdie, endormie. Comme si la Mercedes "moka", dans son horreur, son abomination, m'avait brutalement réveillée.
Je ne pouvais m'empêcher de faire résonner cette lecture avec le livre Réparer les vivants, dont je vous ai parlé récemment (thème de la mort d'un enfant). Je me suis bien plus identifiée à la peine de Justine, ici, qu'à celle de Marianne dans l'ouvrage de Maelys de Kerangal. Le pari de nous faire partager cette douleur innommable est à mon sens plus réussi chez De Rosnay que chez Kerangal. Peut-être l'utilisation de la première personne du singulier, tellement plus judicieuse (et mais aussi plus facile) pour dépeindre la douleur et le désespoir. Peut-être la simplicité des mots, des phrases, ou des situations du quotidien qui sont dépeintes. Bien évidemment, le décès de l'enfant n'est pas le thème principal de Réparer les vivants, mais je n'ai pu m’empêcher de faire résonner les deux œuvres ensemble (lues avec quelques semaines d'intervalle seulement, donc forcément, pas pu m'en empêcher!).
Quelque chose d'énorme, de monstrueux est monté en moi. Une sensation d'étouffement, d'injustice, de panique. Et si Malcolm ne se réveillait pas. Et s'il mourait pendant la nuit. Il allait mourir, et j'allais rester avec tous les objets de sa vie quotidienne. J'allais devoir rester avec tout ça sur les bras, ses vêtements, sa brosse à dents, ses cahiers d'école, ses rollers, son ordinateur, ses tennis, son cochon d'Inde, tout ça, et pas lui. Plus lui. Vivre sans lui. Vivre avec sa mort.
En ce qui concerne l'intrigue en elle-même, elle traîne parfois en longueur. Les fins de chapitre sont écrites comme celle d'un thriller: mais-que-va-t-il-donc-se passer-oh-la-la-je-veux-savoir-je-dois-lire- le-chapitre-suivant. Bon, c'est vrai que Moka a des allures de thriller psychologique, à bien des égards. Le lecteur se pose pas mal de questions au fil de sa lecture: Malcom va-t-il mourir? Qui est la personne qui a causé l'incident et pris la fuite? Justine va-t-il la retrouver? Que fera-t-elle alors? Le couple de l'héroïne survivra-t-il à une telle épreuve?
J'ai trouvé le dénouement assez convenu mais... c'est joliment amené; et il réserve quelques petites surprises malgré tout. Et puis, de toute façon, on VEUT savoir, vraiment. On est pris dans notre lecture et malgré la difficulté du sujet, c'est très agréable de tourner les pages à toute vitesse!

Un agréable petit livre, à lecture facile et rapide, au sujet difficile (à ne peut-être pas mettre entre toutes les mains) et à la jolie écriture épurée et subtile de Tatiana de Rosnay. Je recommande aux amateurs d'"émotions fortes" teintées de suspense.

Mes petites étoiles:

 Mais, tout cela n'est que mon humble avis.


L'adaptation cinématographique est sortie en 2016. Elle a été réalisée par Frédéric Mermoud et ce ne sont rien que moins que Nathalie Baye et Emmanuelle Devos à l'affiche. Ceci dit, je ne peux m'empêcher de douter de la qualité du film, vu les critiques très mitigées que j'ai pu lire... L'adaptation est "libre"; le pari est donc risqué. Pour ma part, ce sera sans moi!




Commentaires

  1. Je n'ai lu que "Elle s'appelait Sarah" de l'autrice, qui ne m'a pas autant chamboulée que ce à quoi je m'attendais. Mais du coup, tu me tentes parce que j'avais beaucoup aimé sa plume ! (par contre, je suis une véritable pleureuse sur ce genre de sujet depuis que j'ai un mini-moi collé aux basques, alors je vais prévoir le stock de mouchoirs !)

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    1. Oui, comme je l'ai écrit en conclusion, ce n'est pas à mettre entre toutes les mains... Après, il se lit super vite et super bien...
      Et "Elle s'appelait Sarah", j'ai la trouille de le lire car c'est THE roman apparemment, et je sens que mes attentes vont encore être dézinguées.

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