Réparer les vivants - [Maelys de Kerangal] ou l'art d'écrire magnifiquement une prose indigeste

Folio, 304 pages
 Enterrer les morts et réparer les vivants. 
  Il me faisait de l’œil depuis un moment celui-là, à l'extrême gauche de ma rangée de poches Folio, étagère 4. Et puis la blogo en parlait, et puis le film me tentait, et puis ce titre-là, "Réparer les vivants" me touchait au plus au point, et puis tous ces prix littéraires aussi, et puis crotte, à un moment donné, faut se sortir les doigts et entamer cette fichue PAL pour qu'elle diminue ne serait-ce qu'une fois dans ma vie de lectrice/acheteuse compulsive.  

Simon est un ado de 19 ans, fana de surf. Fana au point d'aller se geler les miches un matin très tôt avec ses potos, pour attraper quelques bonnes vagues. Sauf que voilà, leur camionnette sort de la route sur le chemin du retour. Simon est en état de mort cérébrale à l'arrivée à l’hôpital de Marianne, sa maman. La grande question posée aux parents de l'adolescent est la suivante: Savez-vous si Simon était donneur d'organes?


Dans son fond et dans sa forme, ce roman est extrêmement éprouvant. Sans mauvais jeu de mot, il faut vraiment avoir le cœur bien accroché pour le lire de bout en bout. Ce n'est pas 24h dans la vie d'une femme, c'est 24h dans la vie des protagonistes qui vont graviter autour du cœur de Simon, celui qui va être transplanté...

A mon sens, le roman se scinde en deux parties: la première où règne l'émotion, avec notamment l'annonce du décès, la réaction des parents, quelques souvenirs de Simon... On apprend à découvrir les personnages, du côté des proches ou bien de celui, plus glaçant, des médecins. C'est poignant, c'est touchant.
J'ai trouvé cependant que la réaction de la mère n'était pas très "crédible", si je puis m'exprimer ainsi... Ses sentiments sont en effet parfaitement bien retranscris (la perte de sa chair, le gouffre, la douleur envahissante, le monde qui s'écroule...) mais ses faits et gestes, son attitude, ses paroles, ne sont pas à la hauteur de tout ce flot de mots de la narratrice... La mère, je la trouve presque trop courageuse, finalement. Sean, le père, lui, il s'écroule clairement. On sent que c'est Marianne qui porte le couple à ce moment-là.
Et ils s'étreignent, une étreinte d'une force dingue, comme s'ils s'écrasaient l'un dans l'autre, têtes compressées à se fendre le crâne, épaules concassées sous la masse des thorax, bras douloureux à force de serrer, ils s'amalgament dans les écharpes, les vestes et les manteaux, le genre d'étreinte que l'on se donne pour faire rocher contre le cyclone, pour faire pierre avant de sauter dans le vide, un truc de fin du monde en tout cas...
La deuxième partie m'a plus touchée, bien que plus pragmatique, plus terre à terre. Il s'agit de tout le parcours médical et géographique de ce fameux cœur, centre de l'histoire. On découvre (pour ma part en tout cas) tous les rouages d'un don d'organe. Les différents acteurs médicaux, la coordination de ces différents acteurs, la sélection du receveur, la vérification de l'état du greffon... tout est minutieusement décrit, détaillé et c'est pour le coup passionnant. L'auteure ne nous épargne pas non plus l'opération de Simon puis celle de la personne receveuse; tout y est. On prend même des cours d'anatomie humaine! J'ai d'ailleurs trouvé le personnage de Claire, destinataire du greffon, particulièrement joli.

Parlons maintenant de ce qui selon moi a pêché. Je vais être honnête, après seulement deux pages, j'étais prête à ne même pas en lire deux de plus. Le style de Maelys de Kerangal est indigeste. Lourd. Dense. Elle fait très peu de phrases et abuse des virgules et tirets, dont les développements prennent parfois des paragraphes entiers (!). C'est extrêmement difficile à lire, éreintant et déroutant. 
Alors oui, cette forme se met au service du fond, permet de développer des sentiments, de faire traîner en longueur, d'exposer dans le temps... Mais certains passages sont imbuvables. J'annonce, j'assume: oui, j'ai sauté des pages. En l'occurrence tout ce qui concernait la "vie" de certains personnages, qui me coupait dans mon élan. Je ne voulais que du Simon, que de son coeur, que de la transplantation. La vie sexuelle de l'infirmière et les études de médecine de l'un ou de l'autre, je m'en serais clairement bien passé...
Le cœur de Simon migrait dans un autre endroit du pays, ses reins, son foie et ses poumons gagnaient d’autres provinces, ils filaient vers d’autres corps. Que subsistera-t-il, dans cet éclatement, de l’unité de son fils ?
En fait, la prose (au sens littéral) de l'auteure est parfois sublimissime, en témoigne les différents extraits que je vous ai glissés sur cette page. Elle parvient à mettre des mots, des images, sur l'ineffable: la mort d'un enfant. En cela, c'est bouleversant. Et j'ai été bouleversée. Elle reste résolument moderne, puisqu'elle arrive à parler Pokémon ou Rihanna, tout en restant extrêmement poétique. Faut le faire! Néanmoins, je persiste et signe: ce style d'écriture est lourd, poussif, en dépit de sa magnificence. Oui, je sais, c'est paradoxal. 

Encore un bémol, j'aurai juste tellement apprécié que l'auteure nous parle plus des deux amis qui étaient dans la camionnette lors de l'accident de Simon. Car eux on survécu. Elle traite avec justesse la réaction des autres parents, qui se savent extrêmement chanceux, comme si la Mort avait tiré à la courte-paille, mais... les amis de Simon? Petite frustration pour ma part. J'aurai LARGEMENT préféré en savoir plus sur eux que sur l'infirmière ou le médecin...
(...) il y avait de quoi devenir cinglé, se cogner la tête contre les murs, hurler sa rage, au lieu de quoi tout se passait comme si ces deux-là, lentement, se dissociaient du reste de l'humanité, migraient vers les confins de la croûte terrestre, quittaient un temps et un territoire pour amorcer une dérive sidérale.
La fin du roman est juste absolument sublime. J'ai vraiment été très, très émue. Cela a résonné en moi, cette histoire de destinée d'un jeune qui meurt pour qu'un malade vive. Et tout cela en 24 petites heures. Des vies qui changent radicalement. Certains perdent leur enfant tandis que d'autres vont guérir et ne faire que frôler la mort...
Cela pose de vives questions. Est-on pour ou contre le don d'organe? Et si les dispositions n'ont pas été prises, que faut-il faire? Peut-on penser à la place de son propre enfant, qui plus est un adolescent de 19 ans? Maelys De Kerangal le dépeint avec justesse, en cela je lui tire ma révérence.

Mes p'tites étoiles:
 Mais ce n'est que mon humble avis. 

Commentaires

  1. Coucou !

    J'aime beaucoup ta façon d'écrire ta chronique, et je vois que l'on se rejoint sur pas mal de point. Je ne l'ai pas dit mais c'est vrai que cela manquait de passage sur les amis, oubliés, laissés de côté car encore vivants. Alors qu'elle n'avait aucun problème à se concentrer sur des moments bien trop longs par rapport à l'importance de l'intrigue.

    Pour la mère je n'ai pas ressenti cela, j'ai eu l'impression qu'elle avait eu son moment d'écroulement dans la voiture, seule, quand elle se tape la tête sur le volant. Mais que face à cette homme qu'elle aime encore, qu'elle voit si fragile, elle ne pouvait que paraître forte, pour le protéger, comme elle avait l'air de l'avoir toujours fait !

    La fin m'a aussi beaucoup plus émue, même si je trouve Maylis de Kérangal beaucoup plus douée pour nous parler de la mort que de la vie, et des émotions que des actes !

    En tout cas chapeau pour ta chronique, au plaisir de te lire !

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    1. Merci d'avoir pris le temps de me lire, c'est très agréable de partager ainsi! C'est vrai, j'ai oublié la scène de la voiture avec Marianne... (et pourtant je n'avais pas sauté ce passage!) Mais cela ne change pas trop mon avis, j'aurai aimé... qu'elle s'écroule (la sadique!).
      Enfin, je constate qu'on est assez nombreux à être partagé sur ce livre... Tout le paradoxe est là. C'est magnifique, et en même temps... pfiou beaucoup trop lourd(ingue)!
      Au plaisir, à bientôt!

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  2. Justement, ces phrases interminables et très ponctuées étaient pour moi comme les battement de ce coeur, héros du roman, qui ne doit pas s'arrêter et continuer à battre coûte que coûte. Si la phrase s'arrête, Simon meurt et tout est fichu ! En tout cas, c'est comme ça que je l'ai vécu. Mais pour tout le reste, je suis complètement d'accord avec ta critique. ;) Bon dimanche !

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  3. Jolie métaphore en effet, les battements du coeur... mais ça n'empêche que.... cest super lourd! ;-)

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